Ce document propose des pistes pour réengager la pratique de l’enquête défendue par Paulo Freire dans un contexte contemporain de médiation culturelle, de participation culturelle ou d’éducation.
Le processus d’enquête dans la Pédagogie des opprimés et l’œuvre de Freire
Dans Pédagogie des opprimés, Paulo Freire (2001) propose une approche pédagogique qui cherche à mêler alphabétisation et conscientisation et à remettre en cause les inégalités sociales. Rompant avec le schéma de l’éducation traditionnelle où des savoirs préétablis sont déposés dans la tête d’élèves considéré·e·x comme des bouteilles vides à remplir, l’apprenant·e·x y est ici considéré·e·x comme un·e·x co-créateur·ice des connaissances. Pour rendre cela possible, Freire préconise de travailler partir de sujets proches des préoccupations quotidiennes des apprenant·e·x·s (leur “univers thématique”). Pour identifier ces sujets – avant de débuter le travail pédagogique lui-même – des équipes de chercheureuses transdisicplinaires (psychologues, sociologues, pédagogues) mènent l’enquête en se rendant sur le terrain et cherchent à échanger avec le plus de personnes possibles pour récolter les informations nécessaires à la compréhension de ce contexte. Pour Freire, le processus d’enquête reflète ainsi en quelque sorte la réinvention radicale que l’éducateur·ice·x critique doit mener avant chaque nouvelle expérience pédagogique : il ne peut y avoir de méthode unique et seule une compréhension précise d’un contexte spécifique peut mener à un échange pertinent avec les apprenant·e·x·s.
L’enquête dans le projet U-BUNT-U Salon
Dans le projet mené au centre d’art Pasquart avec le collectif afro-féministe CABBAK, l’enquête n’a pas été réalisée en amont de l’échange par des spécialistes mais par le collectif lui-même, sur sa proposition, et autour d’un sujet (la coiffure) qui a émergé après plusieurs sessions de travail.
Proposition de réengagement de l’enquête dans d’autres contextes
Ce canevas est volontairement très ouvert et n’entend pas proposer de recette unique valable dans tout contexte.
- Constituer un groupe (scolaire, associatif, communauté d’intérêt) d’une petite dizaine de personnes au maximum.
- Organiser une rencontre d’introduction dans laquelle la démarche générative (pas de thème préétabli) et le cadre sont clairement présentés.
- Organiser une série de discussions pour faire émerger le thème de l’enquête et les modalité de sa réalisation. Prendre comme point de départ à la discussion un élément qui se rapproche le moins possible d’un thème, afin de ne pas influencer le sujet qui sera choisi et de permettre de parler de choses proches des intérêts de chacun·e·x (demander par exemple à chacun·e·x d’amener un objet, un texte, une chanson, un film qui lui est cher…). Une ou plusieurs personne qui encadrent le projet ou font partie du groupe est/sont désigné·e·x·s (la tâche peut être tournante) pour assurer la modération et pour proposer le format de la discussion suivante en synthétisant les propos de la discussion.
- Lorsqu’un sujet de recherche est suffisamment motivant pour l’ensemble des membres du groupe, organiser une session pendant laquelle le terrain de l’enquête est précisé et la méthode de l’enquête définie. L’enquête de terrain peut s’appuyer sur des outils de recherche classiques (interviews, lectures, récolte et analyse de données) mais aussi sur tout autres outils, notamment inspiré de pratiques artistiques (observations pendant des déambulations, dessins réalisés sur le site, réalisation de schémas, production de poésie à partir d’éléments collectés sur le terrain, conception de performances in situ, etc.).
- Lorsque le·x·la·les modérateur·ice·x·s estiment – en accord avec le groupe dans son entier – que l’enquête est terminée, travailler à sa présentation dans un cadre public.
Points auxquels être attentif·ve·s
- Lors de la présentation du cadre de travail, préciser : Dans quel but travaille-t-on ? Comment les décisions sont-elles prises ? Qui signera le travail réalisé ? A qui sera-t-il présenté ?
- Décider de manière transparente et claire qui gère la modération et quels sont les rôles de la/des personne/s qui occupent ce rôle.
- Veiller à résumer au début de chaque session les contenus discutés lors des sessions précédentes, notamment pour que d’éventuels absent·e·s ne perdent pas le fil du travail.
- S’assurer que les savoir-faire nécessaires aux méthodes d’enquête choisies sont présents au sein du groupe et partagés à tou·te·x·s. Au besoin, faire intervenir des spécialistes extérieurs pour acquérir les compétences nécessaire.
- Lors du travail de terrain, prêter attention à ce que le matériel collecté et produit soit en tout temps accessible à l’ensemble du groupe.