Article initialement publié dans : Frédéric Mole (Ed.), L’Institut Rousseau à Genève. Épicentre d’une mutation pédagogique mondiale ?, Genève, Archives Institut Jean-Jacques Rousseau, 2021.
1. Introduction
Paulo Freire
Paulo Freire est né en 1921 à Recife au Brésil. Après une formation en droit, il s’intéresse à la pédagogie, est engagé comme professeur à l’université de Recife et écrit une thèse de doctorat intitulée « Educação e actualidade brasileira ».
Cherchant à mêler théorie et pratique et refusant d’être enfermé dans les structures universitaires classiques, il s’engage dans différentes actions d’éducation populaire et développe ce qui sera nommé le « système Freire » (qu’il refuse de considérer comme une méthode applicable en tant que telle dans d’autres contextes). Il développe ce « système » avec sa femme Elza, qui est enseignante et qui a une plus grande expérience du terrain que lui. Sa démarche met en œuvre des outils spécifiques (donnant notamment une place primordiale à l’image) mais sa vraie spécificité est d’avoir des visées révolutionnaires, cherchant à permettre aux personnes illettrées de participer au développement de leur propre programme pédagogique puis de prendre conscience (processus de conscientisation ou conscientização) de leur position d’opprimé·e·s et surtout de leur capacité à agir dans le monde.
Différentes expériences menées avec ce «système» sont très encourageantes et les participants sont capables de lire des textes courts après seulement une trentaine d’heures d’apprentissage. En 1963 à Angicos, 300 personnes sont notamment formées, lors d’une action de 45 jours. Le président João Goulart demande alors à Freire de mettre en place un plan national qui doit permettre d’alphabétiser deux millions de personnes dans 2000 cercles de culture à travers le pays.
Des milliers d’inscriptions sont déjà prises mais le coup d’état militaire de 1964 va interrompre brutalement le processus et Freire sera emprisonné pendant plus d’un mois. Il fuit alors le pays et rejoint la Bolivie puis – après un autre coup d’état dans ce pays également – le Chili.
C’est dans ce pays qu’il rédigera son ouvrage le plus largement diffusé (Gerhardt, 1993, p. 439), Pédagogie des opprimés (Freire, P., 1970b), qui sera traduit dans près d’une vingtaine de langues du vivant de son auteur. On y trouve les fondements de sa pensée ; Freire y défend une pédagogie dialogique, qu’il oppose au système pédagogique dominant qu’il nomme « éducation bancaire ». Il insiste sur la nécessité d’éliminer la structure hiérarchique de l’éducation (qui favorise la domination du professeur sur ses élèves tant par le pouvoir que par le savoir) et il présente son « système », basé sur l’observation de l’environnement des participants et sur la notion de générativité (générer de nouveaux mots à partir des syllabes des mots les plus importants dans le quotidien des participants et générer des réflexions sur le monde à partir d’images « codifiant » des situations vécues).
Une présence et une triple absence
Freire est considéré comme l’un des pédagogues les plus importants du 20e siècle 1 et est certainement l’intellectuel brésilien le plus connu à l’étranger (Pereira, 2018, p. 8). Il a écrit une vingtaine d’ouvrages et sa pensée est à l’origine d’un champ en soi – la pédagogie critique – dans lequel s’est développée la pensée d’auteur·ice·s qui, souvent, ont échangé avec le pédagogue brésilien de son vivant (bell hooks 2 , Henry Giroux 3 , Peter McLaren 4 , Ira Shor 5 ou Joe Kincheloe 6 notamment). Jusqu’à aujourd’hui, son travail a été très largement discuté – en particulier dans les champs anglophone, hispanophone et lusophone – dans les milieux universitaires mais aussi par de nombreux éducateur·ice·s critiques et par des militant·e·s. Il est également amplement cité par de nombreux artistes et travailleur·euse·s culturel·le·s dit·e·s « socialement engagé·e·s » (microsillons, à paraître).
Sa pensée – première absence– reste cependant étonnement peu diffusée dans la sphère francophone. Irène Pereira (2018, p.16), dans l’un des seuls ouvrages en français sur Paulo Freire écrit : « dans le monde francophone [...] ni l’œuvre ni l’homme ne sont véritablement connus du grand public ou même des cercles militants ».
La deuxième absence concerne plus particulièrement Genève. Après son passage au Chili, anticipant cette fois-ci le changement de régime, il part aux États-Unis et enseigne à Harvard en 1969-70. Il décide alors de rejoindre Genève, où il vivra avec sa famille entre 1970 et 1980. Une présence d’une décennie entière.
Il y travaille pour le Bureau de l’éducation du Conseil œcuménique des Églises (COE). C’est depuis Genève qu’il deviendra une figure réellement internationale (Kirkendall, 2010, p. 90), voyageant à travers le monde et « se projetant dans l’histoire de l’éducation du 20e siècle en tant que citoyen du monde » (Rosas, 2003, p. 33) 7 . Bien que ces années furent cruciales pour le développement de ses idées et pour leur diffusion mondiale, les chercheur·euse·s y ont prêté peu d’attention 8 . Plus encore, il semble que Freire soit quasiment absent de l’espace académique, médiatique et physique de la capitale de la pédagogie qu’est Genève. En effet, le mot-clef « Freire » ne donne aucun résultat sur la plateforme Histoire de l’Éducation Suisse (2018) ni dans le Dictionnaire historique de la Suisse (2018) par exemple. De plus, bien qu’il soit docteur honoris causa de cette institution, Freire n’apparaît pas comme une référence centrale dans les recherches de l’Université de Genève. Le colloque « Genève, une plateforme de l’internationalisme éducatif » (où notre présentation faisait écho à celle de Marcos Antonio dos Santos Reigota, également sur Freire) est donc un premier pas significatif pour pallier cette absence.
Ensuite, nous n’avons trouvé dans les médias locaux que deux objets où la présence de Freire à Genève était mentionnée : l’émission « Présence protestante » dans laquelle il est interviewé en 1975 (Éduquer la liberté : la conscientisation avec Paulo Freire, 1975) et l’article « Des conférences brésiliennes attirent les Suisses dans un bar » (1999) (sur la Maison culturelle brésilienne ouverte par sa fille, Cristina Freire Heiniger en 1999). De manière surprenante, Le Courrier, lorsqu’il publie « Re-découvrir Paulo Freire » (un article largement biographique écrit par Irène Pereira), ne mentionne pas ses liens avec Genève.
Finalement, dans l’espace physique de la ville, la seule référence à Paulo Freire que nous ayons pu identifier jusqu’à présent est une ligne de la carte du restaurant « Le Portugais » qui dit « Plat préparé en hommage à notre ami Paulo Freire, célèbre pédagogue brésilien, qui a personnellement confectionné la 1re feijoada brésilienne servie dans notre restaurant en 1974 » 9 .
Outre le fait que Freire, comme nous l’avons vu, soit généralement peu étudié par les auteur·ice·s francophones, cette absence s’explique certainement en partie par son statut juridique en Suisse et par des raisons linguistiques. Tout d’abord, il est exilé à Genève et une grande partie des échanges directs qu’il y développe se trouve être avec des personnes elles aussi en situation de migration. Or, comme il l’observe lui-même 10 c’est incroyable, ici, les Suisses, ils cachent leur misère, ils cachent les travailleurs étrangers, les Espagnols... c’est incroyable “Au tiers-monde, la misère est à ciel ouvert mais ici en Suisse, c’est caché ».], une grande partie des activités de ces personnes tend à rester cachée. Ensuite, même dans son travail d’enseignement à l’Université de Genève (où il mène un séminaire dans le département des Sciences de l’éducation), il semble travailler principalement avec des étudiant·e·s étranger·ère·s 11 (certainement en raison du fait qu’il ne se sente pas à l’aise pour échanger en français 12 parlait très bien français. Il aurait trouvé drôle qu’aujourd’hui, son fils vivant à Genève depuis 7 ans, demande du ‘chômage’ plutôt que du ‘fromage’ » (Freire & Ceccon, 1978, p. 7).] ni, dans une moindre mesure, en anglais (Kirkendall, 2010, p. 91).
L’un des buts de notre recherche est de participer à la réinscription de Freire dans l’histoire genevoise et dans l’histoire de la pédagogie de cette ville. Plus généralement, nous cherchons également, en partant de notre position d’artistes développant des projets pédagogiques, à travailler à la diffusion des idées de Freire dans le monde francophone.
S’ajoute encore une troisième absence, celle d’Elza Freire. Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, la femme de Paulo Freire a apporté sa connaissance du terrain dans la conception du « système Freire ». Cristina Freire Heiniger va jusqu’à dire « c’est elle qui faisait l’alphabétisation, sur le terrain, pas lui » et elle raconte notamment comment elle l’a convaincu d’utiliser des mots multi-syllabiques simples, sans double « S » par exemple (son mari avait d’abord choisi le mot « pássaro » [oiseau], sans se rendre compte de sa difficulté pour des débutants). Spigolon (2016), note d’ailleurs la nécessité de mener une recherche approfondie sur le rôle d’Elza Freire, notamment à partir de manuscrits qu’elle n’a jamais publiés.
Elle n’a pas seulement soutenu son mari – moralement, financièrement et en s’occupant des tâches familiales – lorsqu’il a décidé de quitter son travail d’avocat pour se tourner vers la pédagogie (se disant plus tard avoir été « la première féministe de Recife » (Freire Heiniger, 2018)) mais elle a également joué un rôle capital dans l’élaboration même de sa pensée. Nous souhaitons donc également par notre recherche donner une plus grande visibilité au rôle joué par Elza Freire lorsque leur famille résidait à Genève.
microsillons et Paulo Freire : positionnement
Il y a 12 ans, nous avons fondé le collectif microsillons avec pour ambition de développer des projets artistiques en collaboration avec des personnes qui ne se considèrent pas comme des artistes. Cette pratique ayant une forte dimension dialogique et cherchant à remettre en cause la hiérarchie traditionnelle entre artiste et spectateurs, nous nous sommes rapidement intéressés aux pédagogies critiques et avons découvert Paulo Freire 13 , à travers la lecture des textes de bell hooks d’abord.
Nous avons été très vite emporté·e·s par nos lectures, qui non seulement nous ont ouvert des pistes théoriques et pratiques pour inventer notre propre méthode mais qui nous ont surtout offert une alternative militante à une approche plus scientifique de la pédagogie. Nous n’avons découvert que plusieurs années après notre première lecture de Pédagogie des opprimés que son auteur avait vécu dix ans dans la ville où nous avons fondé notre collectif et qu’il y résidait lorsque cet ouvrage a été publié.
À travers notre recherche, nous cherchons à dépasser cette forme de fascination (il détestait d’ailleurs être considéré comme un « guru » et appelait à la réinvention de sa pensée (Freire, 1997, p. 328)) et à aborder ses écrits de manière critique. Paradoxalement, cela est parfois difficile car son approche non-dogmatique lui faisait embrasser les critiques plutôt que de les rejeter. bell hooks (1994, p. 49) écrit, à propos de ce paradoxe :
Le modèle de pédagogie critique de Freire invite à une interrogation critique [des défauts] dans son travail. Mais une interrogation critique ne veut pas dire un rejet .
Si nous nous concentrons dans cet article sur la partie historique de notre recherche, cette dernière comprend également un volet pratique, qui vise à réengager la pensée de Freire aujourd’hui, en la réinventant avec des éducateur·ice·s, médiateur·ice·s culturel·le·s et artistes, à Genève, en Suisse et à l’étranger 14 .
Il y a à nos yeux une forme d’urgence à inventer des alternatives éducatives au modèle dominant – marchandisé, orienté-contenu, cummulatif, managerial, et professionalisant 15 – un modèle qui pourrait être qualifié de « bancaire », pour utiliser le vocabulaire freireien. Réinventer Freire aujourd’hui est pour nous une manière de travailler à la construction d’approches différentes.
Nous pensons également que – de par l’importance que joue la dimension visuelle dans le « système Freire » et de par l’intérêt que portent de nombreux·ses artistes à ce pédagogue 16 – le champ de l’art peut être un lieu privilégié pour expérimenter ces réinventions.
Méthodologie
Notre recherche historique est basée en premier lieu sur les archives du COE. Celles-ci sont constituées de plus de 6000 pages, en très grande partie de la correspondance. Celle-ci traite de sujets très variés : organisation de voyages, de rencontres, de séminaires, travail sur des publications, offres d’emploi, lettres de recommandations ou de soutien (à des prisonniers politiques en Argentine ou exilés, Chiliens par exemple), demandes d’autographes mais aussi échanges intellectuels (où se mêlent discussion théoriques et échanges amicaux) avec des pairs à travers le monde (notamment avec Paul Dietrichson et Jonathan Kozol 17 ). Ses interlocuteur·ice·s lui demandent souvent des conseils pour appliquer son approche dans les contextes où iels évoluent et lui font parfois part de leurs expériences. Iels cherchent souvent à obtenir du matériel de travail et sollicitent des entretiens. En plus de ces lettres, on trouve des copies de ses articles, des rapports d’activité, des textes de conférences...
À cette ressource principale s’ajoutent quelques sources secondaires (dont le livre « Paulo Freire and the Cold War Politics of Literacy » de Kirkendall (2012), qui est le premier à écrire aussi abondamment sur cette période de sa vie et qui se base lui aussi en grande partie sur les archives du COE) ainsi que les archives de l’Instituto Paulo Freire à São Paulo, qui contiennent des documents uniques sur la vie de Freire à Genève. Finalement, nous pouvons également compter sur quelques ouvrages de Freire lui-même, où il évoque sa vie à Genève, « Pedagogy of Hope: Reliving Pedagogy of the Oppressed » (Freire, P., 1995) et « Learning to Question: A Pedagogy of Liberation » (Faundez & Freire, 1989) en particulier.
Dans ces différentes sources – qui nous informent surtout sur les actions au niveau mondial – très peu d’informations permettent de saisir l’implication de Freire dans la ville de Genève. Pour pallier ce manque, nous cherchons à retrouver les personnes qui l’ont côtoyé à Genève. Nous nous sommes adressé·e·s à certaines de ces personnes par un geste performatif qui consistait (faisant écho à la forme épistolaire omniprésente dans les archives du COE) à leur écrire des lettres dans l’interligne d’extraits de textes de Freire. Cette démarche nous a permis d’amener d’autres perspectives (notamment celles de Cristina Heiniger Freire, Lutgardes Costa Freire, Moacir Gadotti et Alberto Velasco) sur le sujet et à développer une écriture polyphonique de l’histoire de Paulo et Elza Freire à Genève.
Avec une approche inspirée de la recherche action participante (une méthodologie dont le développement est basée sur la pensée de Freire notamment 18 ), nous ne limitons pas notre projet à une approche historique mais cherchons à faire partager nos réflexions avec des personnes impliquées dans des actions pédagogiques sur le terrain, à les mettre en dialogue avec des pairs à la fois pour faire évoluer notre propre recherche et pour transformer les pratiques de nos interlocuteur·ice·s. Nous ne décrirons pas ici en détail ces actions, déjà nombreuses et variées 19 : participations à différents séminaires et colloques mais surtout formats plus performatifs et artistiques (réalisation de vidéos avec des étudiants à Genève; dispositifs dialogiques (incluant un partage de documents issus des archives du COE) et expérimentations culinaires avec des médiateur·ice·s culturel·le·s, des éducateur·ice·s et des artistes à Genève, Villeurbanne, Zürich, Vienne et São Paulo; productions collective d’éléments graphiques; développement de quatre projets expérimentaux avec des médiateur·ice·s culturel·le·s critiques réinventant l’approche de Freire pour le contexte suisse contemporain).
2. Depuis Genève
Après son expérience d’enseignement à Harvard (où il voulait « voir la bête de plus près » (Instituto Paulo Freire, 2012, pp. 56-57)), Freire arrive avec sa famille à Genève, où il accepte un poste au Bureau de l’éducation, nouvellement créé par le Conseil œcuménique des Églises. Il voit dans cette situation professionnelle l’opportunité de ne pas être coupé du terrain (comme il l’aurait été en travaillant dans un contexte strictement universitaire). Surtout, il espère, depuis Genève, pouvoir s’impliquer concrètement dans les luttes d’indépendance des anciennes colonies africaines, en profitant du soutien de l’organisation (Gerhardt, 1993, p. 447). Il imagine pouvoir développer des actions pédagogiques d’envergure qui puissent jouer un réel rôle politique. Ainsi, dans une lettre qu’il rédige après sa prise de fonction, il écrit, en citant Fanon (Simpfendörfer, 1989, p. 153) :
Vous devez savoir que j’ai pris ma décision. Ma cause est celle des Damnés de la terre. Vous devez savoir que j’ai choisi la révolution.
Freire a vécu à Genève pendant une décennie mais il a voyagé à travers le monde durant ces années. Le COE lui offrait une « chaire mondiale » (Kirkendall, 2010, p. 93) et il se nommera lui- même « vagabond de l’évident » 20 , un voyageur qui « aide les gens à voir qu’il ne peut y avoir d’éducation neutre [...] », qui défend la nécessité d’une approche politique de l’éducation. Entre 1970 et 1974, il fait plus de 75 voyages en dehors de Suisse, sur cinq continents. La plupart du temps ces déplacements durent quelques jours mais parfois beaucoup plus longtemps (il passe par exemple cinq semaines au Chili début 1971, 40 jours aux États-Unis au printemps 1972 et plus d’un mois en Océanie en avril-mai 1974). Sa présence à Genève n’est donc pas continue et un grand nombre de lettres des archives du COE sont signées « en son absence » par des secrétaires qui doivent aussi très fréquemment refuser pour lui des invitations pour cause d’indisponibilité.
Il donne des conférences, prend part à des séminaires, se fait consultant, rencontre des groupes pratiquant des actions pédagogiques et culturelles (soutenues par le COE ou non, liées à des organisations religieuses ou non). Il participe à des rencontres internationales (pour l’UNESCO 21 notamment), à des conférences de presse ou à des émissions de radio. Il rencontre également des politiciens (comme le ministre de l’Éducation du Portugal en 1974, juste après la Révolution des Œillets).
Plus rarement, la dynamique est renversée et le COE devient un espace où accueillir des figures clefs de l’éducation de l’époque. Ainsi, après une première visite d’Ivan Illich au COE en septembre 1970 et après que Freire l’a rencontré à Cuernaveca lors d’un séminaire de deux semaines au CIDOC 22 , un séminaire appelé An invitation to conscientization and deschooling: a continuing conversation rassemble au COE Freire et Illich le 6 septembre 1974 23 .
S’il a déjà quelques doutes sur la portée de ses actions durant ses cinq premières années au COE (il écrit dans une lettre de 1972 : « J’ai appris beaucoup de ces deux voyages, avant tout combien il est difficile de vraiment changer une société » 24 ), il semble traverser une vraie crise autour de 1975. En octobre de cette année, il écrit : « [...] mes nombreux voyages et autres obligations m’ont énormément fatigué » 25 . Il écrit aussi « Mon travail s’accumule [...] je commence à me demander comment je vais finir l’année » 26 . Il demandera même à être relevé de ses fonctions à l’Institut des Sciences de l’éducation de l’Université de Genève pour 1975- 1976 27 .
Au-delà de la surcharge de travail, Freire dit être « existentiellement fatigué » (Kirkendall, 2010, p. 104), veut travailler moins et parle même de ne pas voyager pendant une année entière. Il rencontre à cette période Evarist Bartolo (actuellement ministre de l’éducation à Malte) en Sicile. Bartolo (2013) se souvient qu’il « fredonnait toujours la chanson ‘To dream the impossible dream’ [de la comédie musicale L’Homme de la Mancha] ». Freire se sentait peut- être d’une certaine manière à cette période comme un Don Quichotte se battant dans le vide.
Au niveau institutionnel, Will Kennedy, directeur du Bureau de l’éducation, remarque, avec d’autres, que si les idées de Freire se diffusent, elles n’ont que peu d’impact. Il pense que le Bureau doit avoir une ligne d’action plus précise et décide de démissionner (Kirkendall, 2010, p. 104).
Cependant, presque simultanément, cette ligne d’action plus précise semble se dégager et Freire commence à être impliqué dans le type de projets qu’il espérait mener en rejoignant le COE. En effet, répondant à plusieurs invitations de gouvernements africains nouvellement formés, il va travailler en étroite collaboration avec eux pour mener des actions d’alphabétisation dans plusieurs anciennes colonies portugaises.
Certaines de ces invitations ont été faites à Freire non via le COE mais par l’intermédiaire de l’Institut d’action culturelle (lDAC), une organisation qu’il a fondée à Genève en 1971 avec d’autres exilés brésiliens (rapidement rejoints par des intellectuels suisses). L’IDAC se donne pour but de travailler à « l’application de la ‘conscientisation’ comme instrument libérateur dans le processus d’éducation et de transformation sociale » (Institut d’action culturelle, 1973, p. 15).
Dans les premières années, l’Institut – qui publiera 22 livrets sur des thèmes très variés, et avec des approches multiples, jusqu’en 1981 – peine à trouver des moyens de financer ses actions. Mais la situation change en 1975 lorsque le gouvernement de Guinée-Bissau invite l’IDAC à développer une collaboration. Gadotti (2016) formule l’hypothèse que l’autonomie de l’Institut a aidé Freire à obtenir plus facilement l’autorisation du COE (qui s’engagera alors également dans ces projets) de s’impliquer dans des processus de décolonisation, alors même qu’un débat interne existait sur la légitimité du Conseil à le faire.
En Afrique, Freire travaillera sur le long terme, avec un but précis, en lien avec des personnes qu’il admire (comme Amílcar Cabral). Cela va l’aider à retrouver de l’énergie et à sortir de sa période de doutes. Il écrit dans un rapport d’activité de 1977 28 :
Je ne peux pas cacher ma satisfaction de pouvoir, par le biais du Bureau de l’éducation, participer, même modestement, à l’extraordinaire effort que ces sociétés développent pour se réinventer.
Dans ces pays où il travaille, il est aussi heureux de « rencontrer le Brésil en Afrique [...] les goûts, les fruits, les odeurs » (Gadotti, 2016). Plus encore, ces nouveaux projets lui permettent de voyager et de travailler avec sa femme Elza, ce qui est un changement primordial pour lui.
Durant les années 1970, Paulo semble accorder de plus en plus d’attention à reconnaître le rôle d’Elza non seulement dans sa vie mais aussi dans son travail, en particulier autour de la rédaction de Pédagogie des opprimés. En effet, si le rôle d’Elza est peu souvent mentionné dans la littérature sur son mari, celui-ci était néanmoins très attentif à souligner son apport dans son travail. Dans une interview donnée en 1974, il écrit notamment (Rowe,1974, p. 6) :
Je crois que sans Elza, ça aurait été une tâche très difficile pour moi d’écrire le livre [Pédagogie des opprimés] [...] elle exerce sur moi une forte influence. Elle a étudié avec moi et était une enseignante de portugais.
Dans de nombreuses dédicaces et dans le texte de Pedagogy of Hope (Freire, 1995, p. 64), il confirme l’importance de son rôle.
Dans les projets en Afrique, l’implication d’Elza Freire – loin d’être une simple « influence » – est directe et Paulo Freire parle de « programmes qu’Elza et moi développons dans plusieurs pays africains » 29 ou de « cours de formation pour les éducateurs qu’Elza et moi avons coordonnés [...] à São Tomé e Príncipe » (Faundez & Freire, 1989, p. 91).
Dans un texte publié en 1982, Elza Freire (1982) parle du rôle clef qu’elle a joué dans le développement du « système Freire ». Grâce à son expérience d’enseignement à l’école primaire, son apport, déjà, avait été primordial dans le développement des actions de terrain attribuées à son mari :
Nous avons mené ensemble, Paulo et moi, le travail d’alphabétisation dans le Nord Este. Je me suis concentré sur la partie méthodologique, sur l’élaboration de la chose. La paroisse où nous vivions a mis à notre disposition un espace où nous nous rencontrions avec cinq travailleurs qui vivaient aux alentours. Avec eux, nous préparions, nous testions. [...] Nous avons noté qu’ils ne comprendraient pas certaines choses, nous avons éliminé certains mots difficiles et réalisé que nous aurions avantage à utiliser des mots de trois syllabes plutôt que deux, car ils nous donnaient plus d’opportunité de générer d’autres mots.
Entre septembre 1975 et avril 1980, Paulo Freire – souvent avec Elza donc – voyage dix fois en Guinée-Bissau, six fois à São Tomé et Principe, cinq fois en Angola et trois fois au Cap-Vert. Si les échanges qui prennent place influencent directement les approches pédagogiques des gouvernements de ces pays, Paulo Freire ne sera directement impliqué dans le développement de programmes d’alphabétisation (en particulier pour former des animateurs culturels) qu’en Guinée-Bissau et à São Tomé et Principe, dans les deux cas avec l’IDAC. Il insiste sur le fait qu’il n’appliquera aucun modèle ni aucun programme éducatif déjà existant mais qu’il recommencera à zéro, en observant le contexte, comme il l’avait fait au Brésil dans les années 1960 30 . Dix ans après ces actions, Freire (1980, p. 6) écrira :
[...] notre but a toujours été, non pas de leur transmettre un quelconque savoir spécifique (car le savoir n’est pas transféré mais créé et recréé) mais de les adapter à apprendre une méthode correcte pour ‘lire’ la réalité dans sa dimension changeante.
Ces programmes n’ont pas toujours rencontré le succès escompté (en particulier en Guinée- Bissau). L’une des raisons principales des difficultés rencontrées – bien décrites par Kirkendall (2010, pp. 107-112)– semble avoir été le choix du Portugais comme langue pour l’alphabétisation, et par là même la difficulté de sortir d’un cadre où « plane l’ombre d’un modèle occidental de société » (Faundez & Freire, 1989, p. 103). Alors que Freire était partisan d’une approche bilingue (créole et portugais), le gouvernement – adhérant à la pensée de la figure de l’indépendance Amílcar Cabral (que Freire admirait beaucoup) – défendait le Portugais comme un facteur nécessaire d’unification nationale. Freire l’explique à son successeur au Bureau de l’éducation du COE Antonio Faundez, dans une réflexion critique sur ces expériences en Afrique (Faundez & Freire, 1989, pp. 102-120).
Ces actions d’alphabétisation en Afrique sont bien documentées, en particulier celles qui ont pris place en Guinée-Bissau avec – en plus de deux publications de l’IDAC 31 – le livre de Freire (1978) Pedagogy in Process: The Letters to Guinea-Bissau. Leurs critiques (outre dans l’échange entre Faundez et Freire (1989) et dans les propos relayés par Kirkendall (2010)) sont moins accessibles et, même dans le dernier rapport de travail de Freire (publié dans la Newsletter du COE en 1980), ce dernier reste ambivalent quant aux résultats obtenus en Guinée-Bissau : « Lorsque notre travail de consultant se terminera en Guinée-Bissau en avril prochain, je suis convaincu que nous aurons réussi quelque chose d’utile. » (Freire, 1980, p. 7)
En dehors de ces activités officielles, Freire tient d’innombrable discussions informelles – souvent dans la cafétéria du COE – comme en témoigne de nombreuses lettres et comme il le répète dans Pedagogy of Hope (Freire, 1995). Il rencontre notamment des lecteurs de Pédagogie des opprimés venant de nombreux pays. Il dialogue notamment à plusieurs reprises avec des militants sud-africains qui cherchent des conseils. Dans leur pays, Pédagogie des opprimés est alors interdit, ce qui n’empêche pas Steve Biko de le lire et d’être profondément impressionné par l’ouvrage (Nekhwevha, 2002, p. 137).
L’appartement des Freire est aussi un lieu de rencontre. Son fils Lutgardes Costa Freire (2016) se souvient :
Notre appartement était plein de Brésiliens, de Chiliens, de latino-américains. Tout le monde passait et certains restaient dormir, parfois trois nuits [...] Pendant tout le temps de l’exil c’était comme ça. Nous accueillions des exilés politiques, principalement brésiliens, qui avaient été torturés, qui avaient souffert, alors nous les aidions.
Cet esprit d’échange et d’amitié est également visible dans les lettres contenues dans les archives du COE (qui ne constituent, d’après Freire (1995, p. 63) qu’une petite partie des échanges écrits de cette période, le reste ayant été perdu). Beaucoup d’entre elles ne sont pas simplement administratives ou liées à des questions organisationnelles mais montrent un foisonnement d’échanges d’expériences, de rêves, de doutes... Bien qu’il ait parfois été submergé de travail, comme nous l’avons vu, plusieurs lettres 32 montrent que Freire encourageait les gens qu’il rencontrait (aussi bien des intellectuel·le·s renommés que des étudiant·e·s) à entretenir des échanges avec lui.
En août 1979, l’évolution de la situation politique au Brésil lui permet de retourner dans son pays pour la première fois depuis son départ en exil. Il retournera s’y installer définitivement en mars 1980.
3. À Genève
Comme nous l’avons montré dans l’introduction, la présence de Paulo et d’Elza Freire à Genève n’a laissé que peu de traces bibliographiques, médiatiques ou physiques. C’est principalement par la mise en place d’un réseau de personnes l’ayant côtoyé et par l’organisation de dialogues au sein de ce réseau (un processus encore en cours), ainsi que par la découverte d’un mémoire universitaire de 1971, que nous avons pu identifier deux actions genevoises dans lesquelles Freire a été directement impliqué et une prise de position qu’il a développée sur le système scolaire suisse.
« L’Italien répond au chef ». D’une expérience pédagogique avec des travailleurs saisonniers.
En 1971, Freire échange avec trois étudiant·e·s en Science de l’éducation (Pastore, Depierre & Kroug, 1971) qui transposaient sa pédagogie pour développer un travail d’alphabétisation avec des travailleurs saisonniers dans la région genevoise. Touché·e·s par la précarité dans laquelle les saisonniers vivaient à Genève, les étudiant·e·s voulaient s’impliquer pour améliorer leur quotidien. Iels ont d’abord étudié le travail d’une organisation (le Groupe d’Action pour les Travailleurs Immigrés) qui proposait des cours de français aux travailleurs pour leur apporter un langage commun. Iels ont observé que ces cours étaient peu suivis, peu efficaces et que le matériel utilisé n’était pas adapté. Iels se sont alors adressés, par le biais d’un questionnaire, à cinq travailleurs qui participaient à ces cours, pour tenter de mieux cerner leurs motivations. L’un des éléments qui est ressorti de cette enquête était qu’un vocabulaire proche des intérêts et des activités quotidiennes des travailleurs devrait être utilisé. Une autre observation était que le fait de ne pas parler français était source d’ennuis et d’injustices. A propos de ces injustices, la phrase « nous sommes des étrangers, nous ne pouvons rien faire » (p. 69) revenait souvent. Les cinq travailleurs souffraient par ailleurs de l’état d’isolation dans lequel la population locale les laissait (p. 68-69).
Les étudiant·e·s ont alors décidé de développer leur propre cours d’alphabétisation en français et, au travers de la lecture des écrits de Freire (en particulier Cultural Action for Freedom (Freire, 1970a) et quelques articles) ils ont inventé une «transposition méthodologique » (« Notre méthodologie prend ses racines dans celle de Paulo Freire. Parfois on retrouvera explicitement cette dernière. Parfois aussi il sera nécessaire de s’en éloigner, non pas dans l’esprit, mais dans le processus. » (Pastore, Depierre & Kroug, 1971, p. 63)). Leur proposition était basée sur l’idée de construire un univers-vocabulaire.
Iels ont ensuite eu l’opportunité de présenter leur méthodologie à Paulo Freire dans le cadre de deux rencontres, en décembre 1970 et mars 1971. Il leur a dit (p. 59) :
Votre but [...] est la recherche d’une instrumentation scientifique pour l’apprentissage du français chez les saisonniers. Or il s’agit non seulement d’un nouveau vocabulaire à acquérir, mais aussi d’une conscientisation.
Et il leur a conseillé (p.59) :
Pour votre travail, il faut choisir des thèmes de la réalité concrète, et observer la manière de parler et de vivre, soit de la classe dominante et qui veut toujours dominer, soit des ouvriers saisonniers. Ainsi par exemple, en décodifiant les affiches relatives aux saisonniers, dans les gares, on découvre le langage de la classe dominante... Puis voir les thèmes générateurs, c.a.d. tenter de créer un vocabulaire, en tenant compte non pas en premier lieu de la phonétique et de la grammaire, mais surtout du contenu, donc des motivations des ouvriers.
Il leur a enjoint de faire un choix (p. 62) :
En ce qui concerne votre propre travail : vous pouvez rester seulement sur un plan d’enseignement de la langue, donner aux ouvriers la maîtrise de la langue pour qu’ils puissent communiquer ; ou bien si vous voulez approfondir, avec cette maîtrise de la langue, faire que les ouvriers prennent conscience de la valeur ou de l’aliénation de leur travail. Donc un rôle déjà essentiellement politique, idéologique.
Les étudiant·e·s vont développer une série de 12 sessions de deux heures pour cinq travailleurs italiens volontaires. Iels commençaient chaque session en proposant un thème. Le thème (par exemple « travail » ou « étranger ») était lié aux expériences quotidiennes des travailleurs et servait à ouvrir des discussions (en italien au début). Ensuite, les travailleurs proposaient des mots connectés à ces thèmes. Les mots étaient organisés en « arbres » et, après quelques sessions, les participants étaient capables de former leurs propres phrases en choisissant des mots dans l’arbre, en les écrivant sur des petites fiches et en jouant avec ces fiches. Dans leur projet initial, des dessins devaient également être utilisés – faisant écho à la dimension visuelle de l’approche de Freire. Cependant, devant la difficulté à illustrer nombre des mots, trop abstraits, proposés par les ouvriers, cet aspect a été abandonné. Bien que les auteur·ice·s du mémoire ne le mentionnent pas, une claire dimension de conscientisation politique est visible dans les exemples qu’ils ont choisis sur le terrain comme dans les phrases formées par les ouvriers : « Le maçon fait beaucoup de choses » (p. 78), « Le travail ne me plait pas » (p. 76), « Le riche ne comprend pas le pauvre » (p. 73), « L’Italien répond au chef » (p. 90).
Les résultats étaient assez encourageants, autant du point de vue des compétences linguistiques que de la transformation sociale (les étudiants notent, entre autre, que les échanges deviennent de plus en plus conviviaux). Il est prévu que le projet continue, au moins pour quelques mois. Cependant, iels insistaient sur le fait que leur travail ne constituait en aucun cas une solution pour agir contre les injustices dont souffraient les travailleurs saisonniers et notaient même qu’il existait un risque que ce type d’actions, si elles étaient menées par des personnes mal intentionnées, pourraient mener à l’assimilation de ces travailleurs dans le « désordre établi » (p. IV). Ainsi, iels insistaient sur le fait que l’expérience devrait rester expérimentale et ne pas devenir un modèle. Iels pensaient néanmoins que leur travail pourrait inspirer d’autres personnes à développer leurs propres actions.
Des cours pour les saisonniers espagnols et leurs enfants
Dans Pedagogy of Hope, Freire (1995, pp. 136-141) parle d’une rencontre à Genève avec des ouvriers espagnols qui avaient pour projet d’ouvrir une école pour leurs enfants, école qu’iels fréquenteraient quelques heures par semaine, en parallèle avec leur cursus officiel dans le système scolaire public suisse. Cette école, que Freire qualifie de « contre-école » ou « d’école de défiance» était pensée comme un moyen de donner aux enfants les outils pour problématiser l’idéologie dominante véhiculée par l’école suisse. Ces travailleurs, après avoir lu Fanon et Memmi, avaient été confortés dans l’idée qu’ils devraient demander conseil à Freire.
Outre les quelques pages écrites par Freire, nous n’avons trouvé aucune autre information à ce sujet et ne savons pas si le projet s’est concrétisé ou non. Cependant, nos recherches autour de cette piste nous ont menés à découvrir une autre expérience impliquant des travailleurs espagnols, expérience dans laquelle Freire a joué un rôle clef.
C’est la rencontre d’Alberto Velasco (2018) – rencontré par l’entremise de Cristina Heiniger Freire – qui nous a permis de récolter les informations qui suivent.
Dans les années 1970 en Suisse, les travailleurs saisonniers n’ont pas le droit de résider avec leurs familles (seule la force de travail est acceptée sur le territoire). Les enfants qui accompagnaient tout de même ces travailleurs étaient donc considérés comme illégaux et n’avaient pas le droit d’aller à l’école (au contraire des lois en vigueur aujourd’hui). Les saisonniers vivaient dans des conditions difficiles, dans des baraquements, et la plupart d’entre eux n’avaient suivi qu’un parcours scolaire sommaire.
Velasco, de nationalité espagnole et né à Tanger, est arrivé en Suisse à 13 ans. Il a dû lutter dès son arrivée (et jusqu’à aujourd’hui) contre les préjugés sur « les étrangers ». Comme jeune militant communiste et anti-fasciste, il a eu un premier contact avec les travailleurs saisonniers espagnols. À l’Université (où il a fini par étudier malgré les autres voies plus « manuelles » qu’on lui réservait), il a rencontré un professeur espagnol catholique, Alberto Pérez de Vargas. Ce dernier avait obtenu l’attribution pour la communauté espagnole d’une petite maison appartenant à l’église, au centre de Genève, à la Place du Cirque et il y donnait des cours du soir de physique. Pérez de Vargas a demandé à Velasco s’il pourrait y donner des cours de mathématiques à des jeunes espagnols. Il a accepté et a découvert un monde où des enfants vivaient cachés sous leurs lits, par peur d’être vus et renvoyés.
Avec quelques ami·e·s, ils ont commencé à enseigner plusieurs disciplines : espagnol, français, mathématiques, physique... Seule une contribution symbolique était demandée (pour couvrir les frais de matériel) aux apprenants, qui étaient impliqués dans l’auto-construction d’éléments de mobilier, dont les tableaux noirs.
Les cours, d’abord destinés aux enfants, avaient été rapidement fréquentés par les parents.
Les jeunes enseignant·e·s volontaires –qui n’avaient aucune expérience préalable d’enseignement – avaient l’impression qu’iels n’utilisaient peut-être pas toujours les bons outils pédagogiques. Ils ont appris que Freire était à Genève et ils lui ont demandé conseil. Pour Velasco, il était la seule personne capable de les aider pour plusieurs raisons : il avait une expérience de travail avec des opprimé·e·s, il était sensible à des questions comme la honte de ne pas savoir ce que ressentaient certains parents devant leurs enfants, il parlait espagnol et, finalement, sa position au sein du COE lui donnait une caution pour obtenir des aides, trouver des salles, etc.
Pendant des mois, presque tous les samedis après-midi, des séminaires informels étaient organisés entre les enseignant·e·s et Freire. Velasco (2018) décrit ces rencontres ainsi :
Ce n’était pas des rencontres académiques, il détestait ça. Ce qu’il aimait c’était échanger. Il ne supportait pas qu’on le prenne pour une idole, on avait vu ça tout de suite. C’est pour ça qu’il aimait venir vers nous, parce qu’il avait retrouvé ce groupe d’échange, où il n’y avait pas de structure. Et il adorait ça. Nous lui disions ‘on a vécu ça, qu’est-ce que tu penses ?’ ou ‘on a ce problème-là’ et il nous disait ‘moi j’ai vécu ça au Brésil mais attention, il faut regarder le contexte’. Les attitudes et la réflexion que nous avons développées lui doivent beaucoup.
Freire aidait les enseignant·e·s à répondre à la question de la disparité des âges chez les apprenant·e·s et à instaurer une culture du dialogue et de la bienveillance dans les cours. Une liberté de parole s’est alors installée et les erreurs étaient valorisées (comme des potentiels d’apprentissage) plutôt que stigmatisées. Dans ce cadre de confiance, des discussions politiques étaient alors devenues possibles.
Après deux ans, les participant·e·s pouvaient généralement lire, écrire, compter et maîtrisaient des principes de base de physique (certains avaient passé les examens au consulat espagnol de Berne pour obtenir leur certificat scolaire). De plus, iels prenaient part à des activités culturelles autogérées où ils faisaient du théâtre ou jouaient de la musique.
Rapidement, les cours ont compté entre 300 et 400 participant·e·s et de plus grands locaux ont dû être trouvés. Le groupe d’apprenant·e·s était alors devenu une vraie force politique, sensible par exemple aux appels à manifester des enseignant·e·s. L’expérience a duré de 1970 à 1975.
Velasco note que les participant·e·s étaient toujours très reconnaissant·e·s de la générosité des enseignant·e·s, une chose dont ils n’avaient souvent pas eu l’expérience auparavant. Les enseignant·e·s quant à elleux étaient très fier·e·s d’avoir pu travailler avec Freire, qui, comme eux, était un immigrant, chrétien, qui parlait espagnol et, qui plus est, était reconnu internationalement comme un intellectuel important.
Velasco – qui considère que sa plus grande réussite politique n’est pas son élection au Grand conseil en 2013 mais d’avoir pris part à cette action – dit : « S’il n’était pas venu, l’expérience n’aurait peut-être pas été aussi conséquente, parce que moralement pour nous, c’était important de savoir qu’on avait son soutien, qu’on pouvait aller de l’avant...».
Critique de l’école suisse
Un autre point d’intérêt des liens entre Freire et Genève – d’une autre nature – est sa réflexion sur le système scolaire Suisse. Une anecdote, qu’il relate dans Pedagogy of Hope (Freire, 1995, pp. 141-143), lui permet d’introduire son point de vue. Le fils d’un de ses amis brésiliens, Claudius Ceccon (un dessinateur lui aussi en exil à Genève pour des raisons politiques), a vécu avec douleur un épisode de sa vie scolaire genevoise : le jeune Flávio, rentre un jour de l’école triste et découragé. Son enseignante avait déchiré l’un de ses dessins. Son père décide d’aller en parler avec elle et celle-ci lui fait l’éloge de son fils, de son talent et de son autonomie. Fière, elle lui montre ensuite une série de dessins de chats presque identiques réalisés par les enfants à partir de l’observation d’une petite statue qu’elle leur avait amenée. Elle lui explique alors la manière dont elle tente d’éviter les situations, d’après elle terrifiantes pour les enfants, où iels doivent choisir et créer. Ainsi, elle n’avait pas pu accepter le dessin de Flávio qui avait dessiné le chat avec « des couleurs impossibles ». (p. 142).
Freire (p. 143) relate cette anecdote sur plusieurs pages et y voit une métaphore du système scolaire dans son ensemble :
Et il apparut que cela était la manière dont l’ensemble de l’école fonctionnait. Ce n’était pas simplement une éducatrice qui était apeurée à la simple mention de la liberté, la création, l’aventure, le risque. Pour toute l’école, comme pour elle, le monde ne devait pas changer et, tout comme dans l’histoire du petit cochon qui ne devait jamais quitter le sentier battu, nous ne devrions jamais dévier de la norme établie lors de notre passage dans ce monde. Marcher dans les empreintes laissées par les autres pour nous. Regardez, notre sort et notre destin ! Baliser des chemins en marchant ? Re-créer le monde, le transformer ? Jamais !
Il parle également (pp. 139-140), avec amusement, de la manière dont les livres pour enfants – utilisés à l’école ou en dehors – mettent en garde les enfants contre les dangers de l’exploration. Il évoque notamment l’histoire, contée dans l’un de ces livres, d’un petit cochon qui, par curiosité, décide de s’éloigner de la ferme pendant une journée et subit une série de catastrophes. Lorsqu’il rentre, son père « lui dit avec sagesse, avec un air de pédagogue bienveillant, ‘je savais que ça allait arriver un jour. Pour toi, il n’y avait pas d’autre moyen d’apprendre qu’il ne faut pas quitter les sentiers battus. Essayer de changer quelque chose c’est courir le risque de se faire très mal, comme cela a dû t’arriver aujourd’hui’ ».
Si, plus de dix ans après être retourné au Brésil, Freire formulait donc des critiques contre le système scolaire suisse à travers ces anecdotes mi-sérieuses mi-amusées, il semble avoir eu une toute autre attitude lorsqu’il était à Genève. Son fils Lutgardes Costa Freire (2016) se souvient :
Je détestais l’école suisse, vraiment. C’était dur, j’étais un mauvais élève, j’échouais aux examens. L’école était très dure, très stricte. [...] Le premier jour, je suis rentrée à la maison et j’ai dit à mon père ‘Je n’y retournerai pas’. Il m’a demandé pourquoi et je lui ai dit ‘je ne veux pas137devenir une machine’. Il m’a dit ‘écoute mon fils tu me poses un problème terrible’. Je lui ai répondu ‘mais tu penses toi aussi comme cela. Tu voudrais que j’aille dans une école qui est à l’opposé de ce en quoi tu crois ?’. Mais il m’a répondu ‘écoute mon fils, je ne peux pas changer l’école suisse, je suis accueilli dans ce pays. Si soudainement on pense que je ne peux plus rester ici, je serai expulsé. Et où irons-nous vivre ?’
Si Freire n’attaqua donc pas, ni ne commenta le système scolaire suisse pendant son séjour à Genève, il obtint cependant l’autorisation pour que son cadet soit scolarisé à domicile. De plus, l’IDAC (sans le mentionner dans l’équipe éditoriale mais en faisant de nombreuses références directes à ses écrits), publiera deux documents très critiques sur l’école en général : « Attention école » (Institut d’action culturelle, 1978), qui se base sur une série de dessins de Claudius Ceccon qui caricaturent la dimension reproductive du système scolaire ; et « École, société, avenir » (Institut d’action culturelle, 1980), qui critique les « faux changements qui prennent place dans le système scolaire » et présente des modèles alternatifs. Dans le texte final de la deuxième publication (écrit par Miguel et Rosiska Darcy de Oliveira), on peut lire cette synthèse très freireienne (Institut d’action culturelle, 1980, pp. 78-79) :
Il s’agit de renverser toute logique. C’est une éducation qui ne serait plus dispensée uniquement par une institution spécialisée [...] qui ne serait plus mesurée par des notes, diplômes et certificats, [...] qui ne se limiterait pas à une transmission de connaissances spécialisées pour que chacun puisse occuper sa place à l’intérieur d’une société hiérarchisée, mais dont le but serait de former des individus autonomes et polyvalents, aptes à vivre dans des communautés vivantes, conflictuelles, auto-déterminées et, de ce fait, en permanente mutation.
Conclusion
Ses années genevoises ont – d’après ses propres dires – été capitales dans la construction de Paulo Freire : « Ça été l’une des plus belles périodes de ma vie. Cette maison [le COE] m’a donné la possibilité d’avancer sans avoir peur [...] j’y suis devenu ce que je suis – Paulo Freire. » (The Man Who Gave Us Conscientization, 1980).
C’est durant ces années qu’il a atteint une notoriété internationale, qu’il est réellement devenu une figure d’envergure de la pédagogie. Son choix de ne pas poursuivre une carrière strictement universitaire mais de profiter des conditions particulières que lui offraient le COE en particulier et Genève plus généralement, ont rendu ce rayonnement possible. Revenant sur sa décision de s’installer à Genève et d’accepter l’offre du COE, il écrit (Faundez & Freire,1989, p. 12) :
[...] j’étais absolument convaincu d’à quel point il serait utile et fondamental de voyager à travers le monde, d’être exposé à différents environnements, d’apprendre des expériences des autres et de porter un regard renouvelé sur moi-même, au travers des différences culturelles. Indiscutablement, le Conseil m’a offert cela plus qu’aucune université n’aurait pu le faire [...]. Pour simplifier, une université, aussi bonne soit-elle, aussi connue soit-elle, aussi géniale soit-elle, me donnait l’opportunité de travailler avec 20 voire 30 étudiants. Le Conseil œcuménique des Églises m’offrait une chaire mondiale, pas une sphère universitaire, mais une sphère mondiale.
À Genève, s’ajoutait en plus la possibilité pour lui de poursuivre un travail académique, en travaillant à l’Université. L’anecdote suivante est révélatrice de la manière dont son ancrage en Suisse a permis ce rayonnement dans le monde. Freire voulait faire parvenir le manuscrit de Pédagogie des opprimés à l’éditeur brésilien Fernando Gasparian malgré l’interdiction du livre de son pays d’origine. Cependant, il craignait pour la sécurité du transporteur. Jean Ziegler, qui se rendait au Brésil, lui a proposé de le faire et Freire a accepté, car il savait que sa nationalité suisse et son passeport diplomatique lui permettraient de passer la douane sans être inquiété et le maintiendraient hors de danger (Freire, 1995, pp. 62-63).
En plus de l’acquisition d’un statut international, rendu possible notamment grâce aux conditions que son séjour en Suisse et sa position au COE lui offraient, il a marqué à plusieurs égards le contexte local – par des actions là aussi ouvertes sur le monde – en enseignant à l’Université, en fondant l’IDAC (dont les recherches seront souvent directement liées au contexte suisse 33 ) et en apportant son soutien à des projets pédagogiques expérimentaux. La recherche autour de ces liens directs avec Genève (et de ceux qu’Elza Freire a également entretenus) doit être poursuivie – en convoquant de nouvelles sources orales – car très peu d’informations écrites semblent exister à ce sujet.
Dans les actions que Freire a accompagnées à Genève et dans les travaux des étudiant·e·s dont il a suivi le travail, la dimension migratoire a joué un rôle important. Aujourd’hui encore, l’application de ses idées semble se faire de manière privilégiée dans des contextes d’apprentissage d’une langue seconde par des migrant·e·s. Comme l’a montré Nora Landkammer (2018), la manière dont son « système » a souvent été utilisé, mais dépolitisé, dans ce type de contexte a cependant été critiquée (et qualifiée de « d’approche pseudo- freirienne ») dans les années 1970 déjà.
On peut pourtant soutenir que les idées de Freire sont d’une très grande pertinence pour le contexte contemporain, justement du fait de leur portée politique. Les forces réactionnaires brésiliennes ne s’y trompent d’ailleurs pas et voient en Freire une figure à combattre. Dans les manifestations contre Dilma Rousseff en mars 2015, des manifestants utilisaient le slogan « Chega de doutriniçào Marxista. Basta de Paulo Freire » [Assez de la doctrine Marxiste: finissons-en avec Paulo Freire]. À l’autre bout du spectre politique, le pédagogue critique Henry Giroux, quant à lui, pense qu’à cause des forces autoritaires qui démantèlent actuellement l’éducation critique et publique, « Le travail de Paulo est en réalité [...] plus important aujourd’hui qu’il ne l’était lorsqu’il a été produit ». Nous partageons cette observation et tentons de réengager le travail de Freire aujourd’hui à Genève, tout en ne perdant pas des yeux l’invitation faite par le pédagogue à constamment « le réinventer ».
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- Voir par exemple Giroux (2010, p. 715) ou Díaz (non daté), ou encore Roberts (2015). ↩
- Dans un dialogue entre sa “voix d’écriture“ (bell hooks) et elle-même, Gloria Watkins, elle parle de l’importance de Freire dans son travail et dans sa vie (1994, pp. 45-58). ↩
- L’introduction de Teachers as intellectuals: towards a critical pedagogy of learning (Giroux, 1988) est rédigée par Freire. ↩
- Qui a également écrit dans Teachers as intellectuals: towards a critical pedagogy of learning de Giroux (1988). ↩
- La préface de Cultural wars: School and society in the conservative restoration 1969–1984 est rédigée par Freire et les deux auteurs ont collaboré à plusieurs reprises. ↩
- Qui a fondé The Paulo and Nita Freire International Project for Critical Pedagogy à la Faculty of Education de la McGill University. ↩
- Toutes les citations en langue étrangères ont été traduites par les auteur·ice·s. ↩
- Comme le montre Kirkendall (2010), l’un·e des rares auteur·ice·s à avoir cherché à combler cette lacune. ↩
- Point intéressant car il montre la tendance à effacer les femmes de l’histoire (point sur lequel nous reviendrons plus loin), l’une des filles de Freire, Cristina Freire Heiniger (2018) et le fils cadet de Paulo Freire, Lutgardes Costa Freire (2016), nous ont tous les deux dit qu’en réalité leur père ne cuisinait pas et que c’était certainement leur mère qui avait transmis cette recette au cuisinier du Portugais. ↩
- Lutgardes Costa Freire (2016) se rappelle son père lui disant « [... ↩
- Gadotti (2016) : « Il a suivi ma thèse de doctorat et celles d’autres. Il recevait principalement des étudiants étrangers, souvent brésiliens... ». ↩
- « Mon père [... ↩
- Dans le cadre de nos études avec Catherine Queloz et Liliane Schneiter au sein du programme CCC (HEAD– Genève). ↩
- À ce propos, voir microsillons (2018). Le présent article est en grande partie basé sur la traduction d’une partie du texte produit pour cette « Learning Unit ». ↩
- Pour une perspective francophone sur ce modèle dominant, voir Laval, Vergne, Clément & Dreux (2012). ↩
- À ce propos, voir microsillons (à paraître). ↩
- De nombreuses lettres des archives du Conseil œcuménique des Églises (ACOE) témoignent de ces échanges et Kozol (1990) y fait référence dans l’introduction de son livre « The Night Is Dark and I Am Far from Home ». ↩
- Son texte Creating alternative research methods. Learning to do it by doing it (Freire, 1982) en particulier a joué un rôle clef dans le développement de la Participatory Action Research (Thiollent, 2011). ↩
- Pour plus d’informations sur ces actions, voir microsillons (2018). ↩
- Entretien avec Jack Shallcrass, 1973, ACOE. ↩
- L’UNESCO a joué un rôle important dans le parcours de Freire : il travaille pour cette organisation au Chili et prend part à au moins quatre événements qu’elle organise dans les années 1970. Il conseille même à des amis de la rejoindre (lettre à Graham Leonard, 16 décembre 1978, ACOE), bien que, d’un autre côté, plusieurs de ses correspondants, comme Brian K. Murphy critiquent ouvertement le travail de l’UNESCO, notamment pour ne pas mieux prendre en compte les écrits de Freire dans leurs publications (lettre de Brian K. Murphy du 29 avril 1974, ACOE). ↩
- Le Centro Intercultural de Documentación, une structure expérimentale d’apprentissage créée par Ivan Illich à Cuernavaca, qui a fonctionné entre 1966 et 1976. ↩
- Deux publications existent sur cet événement. Un numéro de Risk (COE) (« Pilgrims of the Obvious », 1975) basé sur une retranscription des présentations et des discussions et une publication de l’IDAC (Institut d’action culturelle, 1975) intitulée « Freire, Illich, Pédagogie des opprimés, oppression de la pédagogie » avec un long texte réflexif écrit par Rosiska Darcy De Oliveira et Pierre Dominicé. Nous avons par ailleurs digitalisé l’enregistrement sonore du séminaire et l’avons utilisé dans plusieurs de nos mises en dialogue publiques. ↩
- Lettre de Freire à David P. Magnani, 3.8.1972, ACOE. ↩
- Lettre de Freire à Jonathan Kozol, 17.09.1975, ACOE. ↩
- Letter de Freire à John Simmons, 3.04.1975, ACOE. ↩
- Lettre de Freire à Michael Huberman, 9.07.1975, ACOE. ↩
- Rapport « Adult Basic Education (The Work of Paulo Freire) », 17.7.1977, ACOE. ↩
- Lettre de Freire à Betty Marlin, 19.1.1979, ACOE. ↩
- Lettre de Freire à Paul Dietrichson, 25.01.1977, ACOE. ↩
- Institut d’action culturelle, 1976 et Institut d’action culturelle, 1979. ↩
- Par exemple : lettre de Marisa Brigaglia Buonajuto, non datée, ACOE ou lettre de David Robinson, non datée, ACOE. ↩
- Le meilleur exemple étant peut-être : Institut d’action culturelle, non daté. ↩