Reengaging Freire
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microsillons’ participation to the international research network Another Roadmap School working on the intertwined hi/stories of arts education.
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RÉINVENTER LA PÉDAGOGIE DES OPPRIMÉ·E·X·S : INTRODUCTION

microsillons, Mischa Piraud, Julia Torino

RÉINVENTER LA PÉDAGOGIE DES OPPRIMÉ·E·X·S POUR FAVORISER LA PARTICIPATION CULTURELLE DANS LES INSTITUTIONS D’ART CONTEMPORAIN EN SUISSE ROMANDE (RPO) – INTRODUCTION

RPO est un projet de recherche en médiation qui consiste en une collaboration avec quatre institutions d'art contemporain en Suisse romande (MAMCO (Musée d'art moderne et contemporain de Genève) ; Centre d'Art Contemporain Genève ; MCBA (Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne) ; Centre d'art PasquArt (Bienne)). Ces quatre institutions ont été invité à développer des projets artistiques expérimentaux qui, basés sur les principes des pédagogies critiques, impliquent activement des non-spécialistes ayant un parcours migratoire dans la production et la présentation publique d'objets culturels dans ces institutions.

RPO prend place dans une recherche plus large du collectif microsillons sur les liens entre le pédagogue critique Paulo Freire et Genève et sur le possible réengagement de sa pensée aujourd’hui 1 . Il s’agit avec RPO de travailler à la réinvention et à l'adaptation de certains principes pédagogiques de Paulo Freire dans le cadre des départements de médiation de quatre institutions d'art contemporain en Suisse romande, afin d'expérimenter de nouvelles manières de réduire la sélectivité sociale, de promouvoir la participation culturelle et de favoriser une approche inclusive dans des contextes similaires. RPO étudie dans quelle mesure des nouvelles formes de médiation critique peuvent réinventer et adapter ces outils en tenant compte des questionnements féministes, queer et post-coloniaux qui appellent à une réévaluation contemporaine de son approche (Bowers & Apffel-Marglin, 2004). Principalement basé sur les principes de la recherche en équipe (Guest & Macqueen, 2008) et de la recherche-action participative (Thiollent, 2011), RPO s'intéresse à la manière dont la sélectivité sociale peut être remise en question dans les institutions d'art contemporain en prenant en considération des perspectives culturelles/sociales plus variées et en devenant progressivement plus démocratique dans leur organisation, notamment en impliquant des groupes de personnes habituellement exclues de la sphère culturelle dans la production commune de contenus et de discours.

La recherche-action poursuit trois objectifs :

  • Changer la production du discours au sein des institutions d'art contemporain en incluant des voix moins visibles/entendues.
  • Fournir un cadre aux médiateur·ice·x·s pour qu'iels prennent part à la production de discours, en partageant avec leurs pairs et les directions des musées et des centres d'art leurs observations de terrain et leurs conclusions sur la façon de travailler vers des institutions plus inclusives.
  • Communiquer des outils pour faciliter le développement de futurs projets dans d'autres institutions ou contextes et pouvoir discuter de ces outils entre personnes impliquées dans la pédagogie dans les écoles, les associations/organisations sociales et les institutions artistiques. Ceci est d'autant plus important que le débat actuel sur le rôle inclusif des musées (ICOM, 2019) devient une question centrale pour le monde culturel.

Le périmètre de la recherche est la Suisse romande, où la pertinence de s'engager avec la pensée de Freire dans la médiation a à peine été discutée (en partie à cause de la prédominance du modèle français de démocratisation culturelle (Moeschler, 2013 ; Caune, 2006)) et où, malgré le travail entrepris par les organismes de médiation et le soutien politique, les institutions restent – pas moins qu'ailleurs – largement fréquentées par un public privilégié et homogène (Reichenau & Widmaier, 2015 ; Association des musées suisses, 2015 ; Mottaz Baran, 2005), ne parvenant pas à dépasser les mécanismes de reproduction sociale (Bourdieu (1979), Bourdieu & Passeron (1979)) et de sélectivité sociale (Becker & Schoch, 2018) établis de longue date.

Le projet a été soutenu par la subvention Nouveau Nous (Nouveau Nous, 2023) de la Commission fédérale des migrations (CFM). Il est également soutenu par l'Institut de recherche en art et design (IRAD) de la HEAD – Genève et le bureau "Forschung Art Education" (Departement Kulturanalysen und Vermittlung) de la ZHdK. Les quatre institutions partenaires financent une grande partie de la mise en œuvre pratique de la collaboration et l'Office de l'intégration et de l'action sociale du canton de Berne apporte également un soutien financier.

DÉROULEMENT DU PROJET

À l’été 2021, des journées d’étude avec l’équipe de recherche et les médiatrices impliquées (qui seront suivies par des échanges réguliers entre les chercheureuses et les médiatrices), ont permis de se familiariser avec l’approche de Freire, d’identifier les motivations et les désirs et de faire le point sur les pratiques de médiation dans chacune des institutions. Deux expert·e·s (Marcos Reigota et Janna Graham) ont également participé à ces journées. Sophie Vögele, qui a joué un rôle essentiel d’amie critique tout au long du projet était aussi présente. 

Un processus d’une année et demie a ensuite mené à la production d’objets culturels par quatre groupes des participant·e·x·s dans chacune des institutions impliquées. Les articles présentés sur ce site – écrits respectivement par un·e chercheur·euse (chaque membre de l’équipe de recherche a été en charge de suivre spécifiquement l’une des quatre collaborations) – présentent en détails chacun des projets ainsi que des propositions de réengagments possibles dans d’autres cadres des outils expérimentés ici.

A la suite des projets dans chaque institution, une journée d’échange a été organisée (le 12 janvier 2023 au centre d’art Pasquart) où tou·te·x·s les participant·e·x·s des quatre projets ont été convié·e·x·s pour présenter publiquement les projets réalisés et en discuter avec les personnes engagées sur les autres volets du projet.

Un film documentaire, tourné tout au long du processus par Erika Irmler, Laurence Favre et Gilles Abravanel, permettra de présenter l’expérience dans différents cadres moins académiques que ceux habituellement réservés aux projets de recherche.

  • Sur l’approche freirienne Le développement des projets dans les institutions s’est basé sur un réengagement critique de l’approche de Freire dont le pédagogue critique américain Henry Giroux (Steinberg, 2012) a dit “Son travail est à mes yeux plus important aujourd’hui que lorsqu’il a été produit”. Dans les années 1960, au Brésil, Freire va mettre au point une séquence d’alphabétisation destinée aux personnes qui sont les moins représentées et entendues politiquement dans la société brésilienne de l’époque : les paysan·ne·x·s et travailleur·euse·x·s pauvres. L’action va consister en une série d’étapes qui convergent vers un double but. Premièrement, il s’agit d’alphabétiser rapidement un grand nombre de personnes vivant dans des contextes ruraux très précaires ; les programmes durent quelques jours seulement et sont très efficaces. Deuxièmement, Freire veut que cette alphabétisation puisse transformer celles et ceux qui en bénéficient pour qu’iels puissent véritablement devenir des acteurs de la société. Il parle de conscientisation (Freire, 1974), c’est-à-dire qu’il entend participer à répandre un esprit critique qui puisse mener à un changement politique et social. Pour le pédagogue brésilien, il est impératif, lorsqu’un dialogue est mis en place, que la parole soit combinée avec une forme d’action et qu’une transformation du status quo soit recherchée. De plus, lorsqu’il parle de l’éducation des “opprimé·e·s”, il défend un dialogue entre les “gens” et l’éducateur, pour éviter l’éducation “bancaire” dans laquelle un savoir pré-établi est simplement transmis. Dans le troisième chapitre de La pédagogie des opprimés (Freire, 1974), il présente un plan assez détaillé d’une campagne d’alphabétisation menée dans les années 1960, sous sa supervision, dans les régions rurales du Nordeste, au Brésil. Une équipe interdisciplinaire de chercheur·euse·x·s (en art, en éducation, en sociologie, en études politiques) mène tout d’abord des conversations avec les habitant·e·x·s (qui sont considéré·e·x·s comme des assistant·e·x·s de la recherche) pour identifier un thème significatif pour les apprenant·e·x·s oppressé·e·x·s : le thème générateur. A travers ce processus, est identifié un noyau de contradictions, qui réside au cœur de la viequotidienne des habitant·e·x·s dans la zone rurale identifiée. Ces contradictions sont ensuite utilisées comme une base pour produire des codifications (habituellement des croquis ou des photographies) qui fonctionneront comme des outils dans le processus pédagogique. Ensuite, ces images seront “décodées”. Ce décodage permet aux participant·e·x·s de reconsidérer leurs visions du monde et de travailler à l’émergence d’inédits possible, c’est-à-dire d’une action qui paraissait auparavant inimaginable et qui devient alors envisageable. Ainsi, les personnes impliquées sont en mesure de “[…] comprendre le monde […] non plus comme une réalité statique mais comme une réalité en transformation, en évolution” (Freire, 1974:65).

L’applicabilité et la transférabilité (après leur relecture) des notions freirienne dans le champ de la participation culturelle dans les institutions d’art contemporain ont été expérimentées dans ce projet en se posant les questions suivantes : Comment un projet collaboratif peut-il être construit autour de “thèmes générateurs”, plutôt qu’être predéterminé par l’agenda de l’institution ? Un corpus d’œuvres d’art, sélectionné par un groupe spécifique, peut-il fonctionner comme des images codifiées pour réfléchir à la situation de marginalisation vécue par le groupe et pour repenser sa relation avec l’institution ? Quel “inédits possibles” pourraient être conçus à l’intérieur ou à l’extérieur de l’institution ? Est-ce qu’une codification (par exemple sous une forme visuelle ou performative) – produite collectivement – des contradictions vécues par un groupe pourrait devenir un discours audible au sein de l’institution ? Est-ce que travailler avec ces concepts pourrait aider à faciliter le travail contre la sélectivité sociale ?

Les articles montrent comment, au fil de ces collaborations qui ont été très différentes dans leurs modalités comme dans leurs expressions, des réponses à ces questions ont pu émerger.

NB : Nous avons adopté dans les articles une écriture inclusive, essentielle à nos yeux à défendre dans le cadre d’une réflexion sur l’ouverture des musées et centres d’art. Toutes les personnes mentionnées sont par ailleurs citées uniquement par leurs prénoms pour assurer un traitement équitable de tou·te·x·s (certains noms de famille ne pouvant pas être révélés pour des questions légales).

 

BIBLIOGRAPHIE

Becker, R. & Schoch, J. (2018). Soziale Selektivität. Empfehlungen des Schweizerischen Wissenschaftsrates SWR. Bern: Schweizerischer Wissenschaftsrat SWR. https://www.swir.ch/images/stories/pdf/de/Politische_Analyse_SWR_3_2018_SozialeSelektivitaet_WEB.pdf (dernière visite : 2.8.2023).

Bourdieu, P.(1979). La distinction. Critique sociale du jugement. Paris: Les Éditions de Minuit.

Bourdieu, P. & Passeron, J.-C. (1964). Les Héritiers. Les étudiants et la culture. Paris : Les Éditions de Minuit.

Bowers, Chet A. & Apffel-Marglin, Frederique (2004) Re-Thinking Freire: Globalization and the Environmental Crisis. London : Routledge.

Caune, J. (2006). La démocratisation culturelle. Une médiation à bout de souffle. Grenoble : Presses Universitaires de Grenoble.

Freire, Paulo (1974). Pédagogie des opprimés. Paris : Maspero.

Guest, G. & MacQueen, K.M. (2008). Handbook for Team-Based Qualitative Research. Washington DC : Rowman & Littlefield Pub Incorporated.

ICOM (2019). L’ICOM annonce la définition alternative du musée qui sera soumise à un vote. https://icom.museum/fr/news/licom-annonce-la-definition-alternative-du-musee-qui-sera-soumise-a-un-vote/ (dernière visite : 2.8.2023).

microsillons (Marianne Guarino Huet & Olivier Desvoignes) (2018). Reengaging Freire. Paulo & Elza Freire in Geneva. In Another Roadmap School, Learning Units. https://another-roadmap.net/intertwining-histories/tools-for-education/learning-units/reengaging-freire-paulo-and-elza-in-geneva (dernière visite : 2.8.2023).

microsillons (Marianne Guarino Huet & Olivier Desvoignes) (2022). Genève : une chaire mondiale pour Paulo & Elza Freire”. In  F. Mole (ed.), L’Institut Rousseau à Genève. Épicentre d’une mutation pédagogique mondiale ?. Genève : FPSE, Université de Genève. https://www.unige.ch/fapse/erhise/ (dernière visite : 2.8.2023).

Moeschler, O. (2013). La “démocratisation culturelle” : mythe ou réalité ? Les publics et leur évaluation, un nouvel enjeu des politiques de la culture en Suisse. In L. Martin & P. Poirrier, Démocratiser la culture. Une histoire comparée des politiques culturelles, Territoires contemporains. http://tristan.u- bourgogne.fr/CGC/publications/Democratiserculture/OMoeschler.html (dernière visite : 2.8.2023).

Mottaz Baran, A. (2005). Publics et musées en Suisse : représentations emblématiques et rituel social. Bern: P. Lang.

Nouveau Nous (2023). Site Internet. https://www.ekm.admin.ch/ekm/fr/home/projekte/neues-wir.html (dernière visite : 2.8.2023).

Reichenau, C. & Widmaier, V. (2015). Participation culturelle. Report commissioned by “Dialogue culturel national”. Berne : OFC (realized by the Association Médiation Culturelle Suisse (Pro Helvetia)).

Steinberg, S. (2012). Paulo Freire Documentary Seeing Through Paulo’s Glasses: Political Clarity, Courage and Humility [vidéo]. Montreal:  The Freire Project. https://player.vimeo.com/video/47117497?portrait=0&muted=1&autopause=0&app_id=122963 (dernière visite : 2.8.2023).

Thiollent, M. (2011).Action Research and Participatory Research: An Overview. In International Journal of Action Research, 7, 2. pp. 160-174.

  1. Voir notamment microsillons (2018) et microsillons (2022).